Louis Scutenaire : le Grand Style

Publié le par L'observateur impartial


« Je me répète parfois. C’est pour contrebalancer mes contradictions. »
« L’espèce humaine naquit sans doute de l’hystérie d’une gorille peladeuse. »

« Le scandale est de n’en pas faire. »
«
L'homme est un enfant qui s'est bouché. »
(Louis Scutenaire)


 
Vois-tu, on est un peu vieux jeu, parfois.
On s’extasie devant des gens, des attitudes, des paroles, qui, clairement, relèvent d’un autre temps. Ne font plus partie du paysage depuis un bail.
On sait bien que ça ne reviendra pas. Qu'à hautes doses, c’est un tantinet anxiogène de se raccrocher aux fantômes du passé. De refuser de piocher dans le contemporain pour alimenter son imaginaire. Mais ce n’est pas notre faute, non, si nos enthousiasmes sont inéluctablement dictés par des fantômes ?

Et, clairement, Louis Scutenaire,
compagnon de route des surréalistes (quand ils n'étaient pas encore fanés), avec ses faux air d'Henry Miller en goguette, relève d’un autre monde. Disparu.
Nonchalant stylé, jouisseur, charmeur, ami des voyoux, contempteur des fades, dandy lumineux. Un genre d’André Breton sans mégalomanie et avec du rab de poésie, de Cocteau sans l’aristocratie. Beau parleur - le mot « hâbleur » semble avoir été inventé pour lui. Amoureux fou d’une femme, Lorrie (pas celle là, vandales culturels…), et aussi de toutes les autres. Sans pitié et cent fois généreux. Humble et Narcisse. Belge, évidemment. Anarchiste de salon et poète des ruelles. "Marxiste
à tendance Groucho". Emerveillé, toujours, en bien ou en mal. Prompt à dégainer le yahou et à vilipender ceux qui l’utilisent avec parcimonie. Vivant.
Il nous faut le confesser, on n’a pas lu grand-chose de lui. Mais ce qu’on possède, ce petit volume appelé Mes Inscriptions, 1943-1944*, est un des meilleurs remparts à la sinistrose que l’on connaisse. Recueil de petites phrases cinglantes  d’aphorismes, d’anecdotes, de déclarations d’amour ou de haine, d’absurdes vérités, de crachats stylés, ledit volume nous rend, bizarrement, terriblement nostalgique.

C’est qu’on aurait aimé le croiser au détour d’un café enfum
é pour l’écouter parler de femmes, de Lorrie qu’il aime – « C’est stupéfiant : Lorrie, qui n’a pas de cœur, a un cœur d’or. » – ou des écrivains et poètes qu’il admire, ceux qu'il cite en les faisant précéder de l’intitulé Le Grand Style – piochée arbitrairement, cette pépite : « Ta tendresse et ta raison sereines reniflent dans la nuit comme des cétacés. » (Rimbaud).
Et, c’est un peu vain comme constat, mais il nous semble que ce Grand Style que personnifie si bien Scutenaire, il ne pourrait plus exister désormais. De très loin. Que c’est une espèce éteinte et enterrée. Et, ce soir, vois-tu, on trouve ça vraiment injuste et triste.

Détournant Philippe Djian (« je donnerais dix mille vies contre la vie de Richard Brautigan »**), on le dit haut et fort : on donnerait dix mille vies de la plate Angot, du vide Beigbeder ou de toute autre limande (poisson très très plat naviguant au fond) littéraire contemporaine, contre une vie du réjouissant Louis Scutenaire. Quelqu’un est preneur ? 


Rab de Grand Style :
« Il est plus flatteur d'être distingué par une dévergondée que par une chaste, car la première fait un vrai choix. »
« Nous sommes tous atteints de face humaine. »
« Si j’étais Dieu, je croirais en lui. »

« Un monde se condamne, qui pense à Napoléon quand il s’agit de grandeur et à Sade quand il s’agit d’ordure. »
« Un vrai Don Juan se branle. »






* récemment et joliment réédité par Allia. Deuxième volume, chez Allia itou, Mes inscriptions, 1945-1963.
** Voici le passage en entier, because c'est trop beau, presque autant que du Brautigan :
"Je donnerais dix mille vies pour la vie de Richard Brautigan. J'essaie de vous dire ça en vous regardant en face. Vingt mille. Au fond, je ne m'écœure pas du tout. Il en tombe des centaines de milliers tous les jours. Est-ce qu'on pense à ses millions de lecteurs, à ces réservoirs de sang neuf qu'étaient Mémoires sauvés du vent ou La vengeance de la pelouse ? Quelqu'un essaierait-il de venir m'arracher des mains Tokyo Montana Express...?"
(Philippe Djian, "une raison d'aimer la vie", nouvelle tirée de Crocodiles).
N'opineront du chef à cette assertion audacieuse que les lecteurs dudit divin Brautigan. Pour les autres, on s'en bat la rate : qui voudrait être lu par quelqu'un qui n'aime pas démesurement Brautigan ?

 

 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article