Esthétique des fosses océaniques

Publié le par L'observateur impartial

Ratages divins ? 
Art brut, enfantillages et création du monde.
 
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Je sais pas trop, mec. J’ai toujours pensé qu’au fond la création du monde n’était qu’un processus artistique. Rien de divin ni de scientifique, là dedans. Juste un gars virtuose qui s’essaye à différentes techniques, à différents sujets, se cherchant, enchaînant œuvre sur œuvre, mais pas toujours de manière cohérente. Un artiste, quoi. C’est tout. Pas plus grand qu’un autre, disposant juste de moyens différents.
Moi perso, ce dont j’ai toujours rêvé, c’est de voir ce que d’autres auraient fait à sa place. Picasso créant les baleines à bosse, Dali les pieuvres, Renoir les montagnes ou Goya les cocotiers. Ca aurait de la gueule, non ?
Janus Lumignon : Entretiens sous Mescaline, 1975.
 
 
Au premier jour, Dieu créa les poissons des grandes profondeurs.

Pas con, le mec, autant s’entraîner à l’abri des regards inquisiteurs du public. Discrètement.
D’abord se faire la main dans son coin, puis, plus tard seulement, une fois les bases maîtrisées, étaler ses prouesses au grand jour.
Logique. 
 
Comme c'était encore loin d’être un artiste accompli, Dieu commença donc par ce qu’on risquait le moins de remarquer, de critiquer : le peuple des abysses, machins inutiles par excellence et invisibles à tous.
Qui s’aviserait de remarquer que par 10 000 mètre de fond vivent des créatures biscornues à l’extrême, tiraillées entre laideur absolue et inutilité totale ? Qui irait lui en tenir rigueur ? Par quels moyens ?
 
Alors le créateur put expérimenter sans crainte d’être jugé. Et laissa libre cours à ses errements esthétiques. Pour un résultat aussi merveilleux que déconstruit. 
Incohérent au possible.
 
Les poissons à mâchoires démesurées, les calamars géants, les trucs qui ressemblent à des dinosaures à nageoires, les monstrueuses sardines albinos de n’avoir jamais vu la lumière, les carnassiers piégeant leurs proies avec des dispositifs lumineux méchamment vicieux pour ce monde désespérément obscur – placer un genre de lampadaire portatif devant sa bouche pour attirer ses naïfs congénères avides de lumières, c’est un peu comme se débarrasser des toxicomanes en plaçant des doses d’héro sur une souricière géante, il me semble –, toutes ces monstruosités biscornues constituent les brouillons de Dieu. Ses premières esquisses.
Elles annoncent le divin, certes, mais ne le matérialisent pas encore. Le tâtent seulement, du bout du doigt.
Maladroites. Kitsch, pour tout dire.  
 
A bien y regarder, ces premiers essais ressemblent à un dessin de gosse surdoué. Ou d’aliéné. Imaginatif, bourré de détails invraisemblables, lumineusement absurde, mais terriblement peu crédible. Réjouissant d’incongruité. Un tracé névrotique, des contours zigzagants, des détails superflus, des appendices débiles, des couleurs criardes : l’œuvre d’un grand névrosé. D’un psychotique coupé d’un monde qui – à son crédit, quand même – n’existait pas encore.
Certes, la virtuosité technique est là.
Mais l’épure, bordel ! La retenue !
 
Si l’on veut s’aventurer un minimum dans les méandres de l’histoire de l’art, une évidence saute aux yeux. C’est que, indéniablement, le créateur de toutes choses n’a fait que suivre en accéléré la démarche suivie par les avants gardes artistiques du 20ème siècle :
D’abord l’excitation devant les possibles : couleurs, formes, tracés. La prise de conscience de l’éventail démentiellement large offert à la création.
Expressionnisme, fauvisme, cubisme, surréalisme… Tous les grands créateurs de l’époque ont vécu la même chose, le même phénomène. L’emphase d’abord, la volonté de tout mêler, de ne rien laisser de côté. Puis la prise de conscience : l’essentiel est ailleurs, plus simple, moins tarabiscoté.
C’est Matisse se cherchant pendant 50 ans, papillonnant entre les courants artistiques, avant de vraiment s’accomplir en décorant de formes simples et modestes la Chapelle de Vence.
C’est Mondrian commençant par peindre des paysages immensément colorés, avant de se tourner vers une abstraction toute géométrique. 
C’est Pollock lâchant toute forme de figuration traditionelle pour se tourner vers une représentation tellement plus simple (pas au sens de facile, hérétiques !) des sujets traités. 
 
Le reste, la suite, ce n’est que la banale histoire d’un maître qui a trouvé ses marques, enchaîne œuvre magistrale (« le troisième jour, Dieu créa les arbres ») sur œuvre magistrale (« le cinquième jour, Dieu créa le peuple des airs »), avant de tristement, sur la fin, sombrer dans la démesure ratée.
Processus connu, limpidement triste : comme beaucoup d’autres, la déchéance de la vieillesse. Le déclin des facultés, l’erreur sénile, la mégalomanie rampante. Après une perfection toujours plus marquée, la dégénérescence esthétique subite. Retour au point de départ, aux balbutiements, au ratage par dispersion : 
« Le septième jour, Dieu Créa l’homme ».
  
Il faut aimer la vie, même dans ses formes les moins attirantes. (Commandant Cousteau)    
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Ps :
Explication alternative, en quelques mots, l’ONK tâtonnant encore concernant la justesse de ses théories révolutionnaires :
« Au premier jour, Dieu, bourré comme un coing – si on ne peut pas fêter la création de son monde avec quelques bouteilles d’ambroisie, je vois mal ce qu’on peut fêter – créa les poissons de grande profondeur. Et, vacillant, il vit que cela était bon. »
Et, comme de juste :
« Au septième jour, Dieu, salement torché – si on n’a pas le droit de fêter en compagnies de quelques bouteilles d’un divin nectar la finitude de son monde… –, expédia la création de l’homme en deux temps trois mouvements, pressé qu’il était d’aller s’affaler dans son canapé nuagesque pour cuver ses abus. Et il vit, quasi comateux, dans un brouillard visiblement trompeur, que cela était bon. »
 
Ps 2 : Un grand merci à la bible et aux théologiens consultés, pour leur aide inestimable. Gageons que les instances catholiques sauront reconnaître à leur juste valeur, l’ampleur et l’exactitude du travail ici mené sur les grandes écritures. Exégètes pointilleux des textes sacrés, nous l’avouons modestement, nous ne faisons qu’en retranscrire les divines paroles.  

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